mercredi 16 mars 2011

ENTRETIEN DU MOIS WILLIAM QUANDT Je ne suis pas si sur qu’il existe une exception algérienne…”

Entretien réalisé par Mohamed Chafik Mesbah
Pourquoi une exception algérienne ne peut exister…
Après une interruption de plus d’une année durant laquelle je n’ai cessé d’être interpellé par de nombreux lecteurs, je reprends, non sans émotion, la publication du supplément «l’Entretien du Mois». Un supplément lequel m’a procuré, il est vrai, la possibilité de rencontrer des personnalités nationales et internationales de premier plan pour débattre de problématiques des plus captivantes. Je remercie mes amis du «Soir d’Algérie», à commencer par Fouad Boughanem, égal à lui-même dans la constance de son comportement tout empreint de bonhomie, ces amis qui m’ont toujours ouvert les colonnes de leur journal, sans jamais interférer sur la substance ou la forme de mes interventions. Ce geste de solidarité ne peut être oublié. J’avais cessé la publication de ce supplément dans le souci de prendre du recul par rapport à l’actualité immédiate. Le silence observé- pourquoi le nier ? - était du, aussi, à un certain sentiment de lassitude. Le monde, dans son ensemble, évoluait à une vitesse presque frénétique tandis que l’état des choses dans mon cher pays demeurait, invariablement, le même, si tant est qu’il ne s’aggravait pas chaque jour davantage. Comment, dans ces conditions, ne pas céder à une dose, même infime, de désespérance ? Contre toute attente, c’est le «printemps arabe», volontiers raillé par certains de nos responsables institutionnels et autres de leurs thuriféraires qui m’a redonné la force de retourner à cette revivifiant activité intellectuelle.
Ce «printemps arabe» a réveillé en moi l’espoir de voir mon pays renouer, finalement, avec le mouvement impétueux de l’histoire et de prendre pied, avantageusement, dans le nouveau contexte de la mondialisation. Se peut-il, en effet, que le peuple algérien continue de rester en marge de l’histoire alors que renouent avec elle des peuples considérés comme dociles et soumis -quelle appréciation erronée ! – du peuple yéménite souvent méconnu jusqu’au grand peuple égyptien qui, selon le belle formule du Président Djamel Abdenasser, a décidé de «relever la tête». Voilà, donc, que la volonté populaire afflue comme un torrent intrépide pour chasser, les uns après les autres, ces dictateurs arabes patentés qui ont cru pouvoir braver la volonté de Dieu et les lois de la nature… C’est en ce moment précis que nos responsables officiels imaginent que le peuple algérien pourrait assister, impassible et sans frémir, à ces moments intenses de l’histoire du monde ! N’y allons pas par quatre chemins ! La conviction est, désormais, solidement ancrée en moi que le peuple algérien - qui n’est pas le «tube digestif» que se plaisent à décrire d’obscurs commis de l’Etat propulsés par accident aux avant-postes de la République- finira par imposer ses choix palpitants qui se rapportent à la prospérité sociale et économique mais, surtout, à la justice et à la dignité, bref à la démocratie. Le choix du système démocratique comme alternative au régime autoritariste et débridé actuel, en somme. Laissons, donc, des responsables publics déconnectés de la réalité sociale ergoter sur l’exception algérienne ! C’est bien pour m’assurer que cette exception ne pouvait exister que je me suis engagé à conduire, avec le professeur américain William Quandt, cet entretien pointilleux, destiné à convaincre ceux qui refusent de l’être, que l’Algérie n’est pas amarrée à la planète Mars mais à l’Univers vivant. Cet entretien est sensé pouvoir dégager une appréciation plus objective, car plus distanciée, de la situation en Algérie tout en offrant la possibilité d’accéder à la compréhension réelle par les Etats-Unis du cours des choses dans le monde arabe en général, en Algérie singulièrement. Le professeur William Quandt, rétorqueront d’aucuns, n’est pas la voix officielle des Etats-Unis. Sans doute. Comment, cependant, ne pas avoir présent à l’esprit les caractéristiques du processus de prise de décision stratégique aux Etats-Unis qui se fonde, en premier ressort, sur l’expertise académique disponible à profusion dans ce pays. Au niveau théorique, par conséquent, les traits saillants de la démarche américaine se retrouvent, parfaitement, dans le corps des réponses du Professeur William Quandt, par ailleurs, personnalité éminente s’il en fut et témoin autorisé d’épisodes historiques déterminants de l’histoire des Etats-Unis. Quel est, alors, le premier enseignement qui se dégage de la lecture attentive de l’entretien que j’ai eu le plaisir de conduire avec le Professeur William Quandt? Evoquant les processus politiques en cours au Maghreb et dans le monde arabe, il affirme sans détours qu’ «il ne saurait exister une exception algérienne». Sur quoi se fonde l’affirmation du Professeur William Quandt ? Sur le tableau commun à tous les pays maghrébins, d’abord, mauvaise gouvernance publique et régimes autoritaristes. Evoquant, plus particulièrement, l’état des lieux en Algérie, il livre un diagnostic sans complaisance : «mauvaise gouvernance publique, corruption et système éducatif médiocre». Il admet que l’Algérie dispose de ressources financières imposantes mais, aussitôt, usant de métaphore, il réduit la portée de ce qui a pu apparaitre comme un atout indiscutable. Il cite, en effet, un ami égyptien, parfait connaisseur de la réalité algérienne, qui lui aurait assuré qu’il fallait «travailler, vraiment, dur» pour arriver à dilapider un potentiel aussi important que celui de l‘Algérie ! De même lorsqu’il constate que l’exaspération populaire en Algérie ne s’est pas, encore cristallisée et qu’elle n’est pas dirigée contre la seule personne du Président de la République mais contre l’ensemble du «régime»,il n’en précise pas moins que notre pays est confrontée à une obligation impérieuse de passage de relais entre générations, celle en place étant en décalage manifeste par rapport à la moyenne d’âge de la population algérienne mais en déphasage, surtout, par rapport aux dispositions d’ouverture d’esprit qu’exige la bonne gouvernance, selon les canons du monde moderne. Lorsqu’il envisage les contraintes au défi démocratique en Algérie, le Professeur William Quandt énumère la qualité de la gouvernance - qu’il évalue, pour l’heure, déplorable-, le rôle de l’armée-affirmant, clairement, que les militaires se sont trop ,longtemps, accaparés du pouvoir-, le comportement du mouvement islamiste -estimant que le modèle c’est l’AKP turc qui accepte de se soumettre aux règles démocratiques et la capacité d’agir de la société civilesoulignant que son influence serait majeures si elle pouvait mieux s’organiser- . Son pronostic sur les chances d’une transition pacifique, sans heurts, en Algérie, parait, au total, réservé du moins mesuré. Le Professeur William Quandt semble se dérober, toutefois, lorsqu’il en vient à l’importance de l’influence américaine sur la conjoncture politique actuelle dans le monde arabe. Le projet de démocratisation du Grand Moyen Orient du Président Bush lui semble avoir constitué une manœuvre dilatoire pour détourner l’attention de l‘échec du processus de paix israélo-arabe. Il élude, totalement, l’aspect opérationnel de cette influence américaine, jugeant, notamment, insignifiante l’action de la constellation d’ONG qui constituent, pourtant, le bras armé la diplomatie. C’est à peine s’il concède que sur les militaires égyptiens l Etas Unis ont pu exercer une influence directe relative. Il souligne, avec une forme de contrariété face à l’insistance, que les peuples arabes se sont rendus à l’évidence, ce sont moins les Etats Unis et le Président Obama qui leur posent problème que leurs propres dirigeants. D’ailleurs, conclut-il, si la conjonction des deux, le potentiel de mobilisation populaire et le support extérieur, peuvent se combiner, c’est, indubitablement, le rapport de forces en situation interne qui reste déterminant. Au demeurant, le Professeur William Quandt recadre bien le contexte de l’analyse en précisant que l’Algérie qui n’est pas un Etat-pivot de la stratégie américaine, ne revêt pas pour les Etats Unis la même importance que l’Egypte ou l’Arabie Saoudite. Peut-être notre éminent académicien est-il là dans son rôle. Ce fut, au total, un moment de grande satisfaction que le déroulement de cet entretien avec le Professeur William Quandt. Je suis envieux pourquoi le cacher ?-du cadre de travail de cet éminent académicien américain et jaloux de la considération que lui témoignent les autorités de son pays. Tous ces facteurs lui permettent de produire des réflexions de haute qualité qui font référence, aux Etats-Unis comme au plan international. C’est à dessein que j’ai cité le cadre de travail du Professeur William Quandt et de l’intérêt que porte à ses travaux l’administration américaine. Par comparaison, comment ne pas déplorer le dédain dans lequel experts et universitaires algériens sont tenus par les pouvoirs publics dans notre pas, les institutions supposées produire de la réflexion stratégique étant elles mêmes condamnées à dormir de leur belle mort. Ce n’est pas là une offre de services comme pourraient l’imaginer des esprits malveillants. Je suis trop regardant à ma liberté et à mon amour propre. Ce n’est pas non plus une digression par rapport à la problématique centrale de cet entretien. Comment imaginer, en effet, une exception algérienne alors que le régime actuel veut se mettre à l’abri du mouvement de l’histoire tandis qu’il confine à une vie dérisoire, marginale, les meilleurs parmi l’élite nationale? Ce régime, croit-il pouvoir affronter le cours inexorable de l’histoire, croit-il pouvoir échapper au sort commun de tous les régimes arabes autoritaristes et obsolescents, en détournant le regard de la foi et l’intelligence qui animent l’élite du pays pour s’arque bouter, sans peur du ridicule, sur «diseuses de bonne aventure» et autres «joueurs de flûte» ?! Dieu, Grand Dieu qui êtes aux cieux, jetez votre voile protecteur sur notre patrie blessée, notre patrie si malmenée …D’ici là, attelons nous, sans trop tarder, à prendre connaissance des réponses concises mais percutantes du Professeur William Quandt. Ces réponses sont les bienvenues car elles agissent comme un signal d’alarme qui nous renvoie à une réalité que nous nous échinons à vouloir méconnaître.
Alger, le 13 mars 2011
Mohamed Chafik Mesbah

Bio-express du ProfesseurWilliam Quandt
Le Professeur William Quandt est né en 1941 à Los Angeles, en Californie. Marié à l’écrivaine Helena Cobban, avec qui il a une fille et deux petits enfants, il vit à Charlottesville, en Virginie. Le Professeur William Quandt a obtenu son BA en Relations Internationales à l'Université de Stanford en 1963 et son doctorat de Sciences Politiques du MIT (Massachusetts Institute of Technology) en 1968. Le Professeur William Quandt qui a travaillé dans le Département de Sciences Humaines de la Rand Corporation de 1968 à 1972 a enseigné, successivement, à l’UCLA de 1970 à 1971, au MIT (Massachusetts Institute of Technology) de 1973 à 1974 et de Maître Assistant en Sciences Politiques à l'Université de Pennsylvanie de 1974 à 1976. Le Professeur William Quandt a rejoint, de nouveau, en 1994, l'Université de Virginie, où il dirige, à ce jour, la chaire Edward R. Stettinius au Département de Politique. Le Professeur William Quandt a bénéficié de nombreuses bourses de recherche, notamment auprès du National Defense Education Act Fellowship, de 1963 à 1965, du Social Science Research Council International Fellowship, de 1966 à 1968 et du Council on Foreign Relations International Affairs Fellowship de 1972 à 1973. À deux reprises, de 1972 à1974 puis de 1977 à 1979, le Professeur William Quandt a été membre du Conseil de Sécurité Nationale et s’est, activement, impliqué dans les négociations qui ont débouché sur, respectivement, les accords de Camp David et le traité de paix égypto-israélien. De 2000 à 2003, le Professeur William Quandt a occupé la charge de Vice Provost for International Affairs à l’Université de Virginie et celle de Senior Fellow au titre du Programme d’Etude des Politiques étrangères au sein de la Brooking Institution ou il a conduit, notamment, une étude sur la politique américaine au Moyen-Orient. Le Professeur William Quandt qui a présidé, de 1987à 1988, the Middle East Studies Association (Association pour les Etudes sur le Moyen-Orient) a été, aussi, membre du Council on Foreign Relations (Conseil de Relations Etrangères), membre du Conseil d'Administration de l'Université Américaine du Caire et de la Foundation for Middle East Peace (Fondation pour la Paix au Moyen-Orient). Elu membre de l'Académie américaine des Arts et des Sciences, en 2004, le Professeur William Quandt a reçu, en 2005, la distinction dite « All-University Teaching Award » de l'Université de Virginie. Le Professeur William Quandt a écrit de nombreux livres ,en particulier, Peace Process: American Diplomacy and the Arab-Israeli Conflict Since 1967, (Brookings, 2005) ; : Between Ballots and Bullets: Algeria's Transition from Authoritarianism, (Brookings,1998); Camp David: Peacemaking and Politics, (Brookings, 1986); Decade of Decisions: American Foreign Policy Toward the Arab-Israeli Conflict, 1967-1976 ; The Middle East: Ten Years After Camp David, (Brookings, 1988) et,enfin, Revolution and Political Leadership: Algeria, 1954-1968, (MIT Press, 1969).



Itinéraire personnel :


Mohamed Chafik Mesbah: Merci, Professeur, d’avoir accepté cet entretien malgré une conjoncture particulière ou il peut être difficile, en effet, pour une personnalité américaine- même impliquée, seulement, dans la recherche académique- de s’exprimer librement…
William Quandt : Je n’ai aucune appréhension à parler ouvertement…
MCM : C’est par choix fortuit ou par vocation que vous avez embrassé la carrière académique ?
WQ : J'ai voulu étudier les affaires internationales et j’ai obtenu mon diplôme de doctorat dans cette discipline au Massachussetts Institute of Technology en 1968. J'ai passé environ la moitié de ma carrière d’enseignant à faire de la recherche universitaire, et l’autre moitié au sein de "think tank". J’ai consacré environ cinq ans de ma vie au service public, au sein de structures gouvernementales.
MCM : C’est, donc, une vocation ? C’est bien par passion pour le métier d’enseignant et celui de chercheur que vous avez emprunté ce chemin professionnel?
WQ : Mes parents étaient, tous deux, des enseignants. Je pense avoir grandi avec l'idée que l'enseignement était important. Je me suis intéressé aux affaires internationales après mon premier voyage au Japon alors que j’étais âgé de 16 ans.
MCM : Comment se présente, en règle générale, aux USA, le parcours d’un universitaire qui se consacre à la recherche dans les sciences politiques et sociales ?
WQ : Ce qui distingue le système universitaire américain, c’est sa flexibilité. J’ai pu passer de l’université aux "think tank" aux structures gouvernementales de manière aisée.
MCM: Comment, vous personnellement, en êtes-vous venu à vous intéresser au Maghreb. C’est un choix accidentel ou un choix émotionnel?
WQ : J’étudiais, en 1960-61, en France lorsque je me suis intéressé à la guerre de libération algérienne. Je suivais les événements quotidiennement. Plusieurs années plus tard, j’ai décidé de retourner en Algérie pour étudier ce qui s’était passé dans ce pays après son indépendance. J’ai passé l’année 1966-67 a Alger pour les recherches nécessaires à ma thèse de doctorat.
MCM : Quelle est, actuellement, la place du Maghreb dans l’enseignement académique au niveau des universités dans la réflexion appliquée au niveau des think thanks ? Quelles sont les principales universités ou think thanks de notoriété qui s’intéressent au Maghreb ?
WQ : L’université du Michigan, UCLA et, dans une certaine mesure, l’université de Virginie, montrent un certain intérêt pour le Maghreb. Il existe une association dénommée IAEM – l’Institut Américain pour les Etudes sur le Maghreb- il existe également de petits centres de recherches américain a Tunis, Oran et Tanger. Au titre des «think tank» connus, il existe Carnegie qui développe le meilleur programme à propos des réformes dans le monde arabe, Maghreb inclus. Le Groupe de Crise International «CRISIS group» est également très bon par sa production.
MCM : Quelle influence exerce l’expertise française sur les recherches académiques américaines ? Quelle importance occupe cette expertise dans le processus de décision officiel aux Etats-Unis ?
WQ : Je dirais que la majorité des experts américains ne sont pas réellement influencés par l’expertise française. Ceux, néanmoins, qui travaillant sur l’Afrique du Nord – un petit nombre- dépendent, grandement, de l’expertise française.
MCM : Il semblerait, cependant, que les Etats Unis veulent, désormais, disposer, à propos du Maghreb, de leur propre expertise …
WQ : Oui, jusqu’a un certain point. Mais la question n’est pas de grande importance. Il est, vraiment, difficile de trouver des fonds de recherche pour travailler au Maghreb. Il y, relativement, peu d’étudiants maghrébins dans les universités américaines. Peu d’étudiants américains, par ailleurs, étudient au Maghreb, à l’exception du Maroc.
MCM : Comment s’imbrique la production intellectuelle des universités et des think thanks dans les processus de prise de décision aux Etats Unis ?
WQ : Parfois cette production produit un certain impact, mais la plupart du temps l’effet reste marginal dans le processus de décision gouvernemental. Mais beaucoup de personnes passent des «think thank» au gouvernement et, en ce sens, ils peuvent exercer une influence directe.
MCM : Pardonnez-moi cette impertinence mais je ne pouvais éluder la question. Est-il exact que les services de renseignement américains s’appuient sur l’expertise des universitaires pour une exploitation optimale des informations accumulées ? Cela peut constituer, en effet, un gage de rigueur méthodologique mais n’y a-t-il pas un risque de confusion des genres ?
WQ : Selon mon expérience, cela n’est pas une chose commune. Cela arrive de temps en temps. Il y a un risque minime de confusion des rôles entre les analystes académiciens et les analystes du renseignement. Je pense qu’il est préférable de maintenir séparées les deux activités.



Le Maghreb, nouvel espace stratégique :


MCM : La situation actuelle au Maghreb ne peut être examinée hors son contexte méditerranéen. A propos de démocratisation justement, dans ce contexte géopolitique méditerranéen, le partenariat euro-méditerranéen entamé par l’Union Européenne à la faveur de la réunion de Barcelone en 1995 était sensé œuvrer à l’émergence des sociétés civiles dans le Sud de la Méditerranée. Cet objectif vous semble avoir été atteint?
WQ : Il n’est pas aisé pour moi de juger de cet aspect. Il existe des éléments de la société civile dans tous les pays du Maghreb. Mais ils semblent, relativement, de faible importance. Ce ne sont pas ces groupes qui on mené la protestation en Tunisie, même s’ils s’y sont ralliés. Les régimes semblent continuer a essayer d’empêcher l’émergence de groupes réellement indépendants et issus de la société civile.
MCM : Toujours dans cet environnement géopolitique, le dialogue méditerranéen initié, en 1994, par l’OTAN, par delà les aspects opérationnels de la coopération militaire, se proposait de contribuer à «civiliser» le positionnement institutionnel de l’armée. C’est un objectif qui vous semble atteint ?
WQ : Je n’ai pas beaucoup d’information, de premier ordre, sur ce sujet. Mais il me semble que la coopération anti-terroriste se met, efficacement, en place. MCM: Les Etats Unis, ont lancé, en 1988, l’initiative Eisenstadt qui visait à la création d’un marché commun maghrébin. Dans ce contexte, l’unité maghrébine est apparue comme une nécessité. Cet objectif vous semble être un préalable pour le développement économique harmonieux des pays concernés ?
WQ : L’unité maghrébine est loin d’être réalisée. Elle est nécessaire, cependant, et elle doit commencer par une amélioration des relations entre l’Algérie et le Maroc. Ce préalable ne semble pas prêt d’être satisfait à moins qu’un accord ne soit conclu à propos du conflit du Sahara Occidental. La politique entrave, en effet, des projets qui pourraient apporter une certaine efficacité économique.
MCM : Le conflit du Sahara Occidental constituerait le principal obstacle à la réalisation de l’unité maghrébine. Ce conflit régional représente une cause majeure de décolonisation ou refléte-t-il, simplement, d’une rivalité accessoire entre l’Algérie et le Maroc ?
WQ : Les origines du conflit sont liées au processus de décolonisation. Ce conflit est aggravé, cependant, par des rivalités entre les régimes des deux pays.
MCM : La zone sahélienne, importante pour le monde occidental, serait appelée à être érigée en «espace-tampon», un mur de protection pour le vieux continent contre les incursions des populations de l’Afrique profonde. C’est là que réside l’intérêt des Etats Unis pour cette région particulière ?
WQ : Je pense que l’Europe a plus intérêt que les Etats Unis à limiter l’immigration. L’intérêt des Etats-Unis semble être, plutôt, d’empêcher l’AQMI de se fortifier.
MCM : Globalement, les Etats-Unis sont-ils en compétition avec l’Union Européenne et, plus particulièrement la France, dans les deux espaces méditerranéen et maghrébin?
WQ : A mon avis, ce n’est pas le cas. Je pense que les Etats Unis acceptent, en règle générale, que l’Europe et la France exercent un rôle majeur dans la région.



Etat des lieux dans les pays du Maghreb :


MCM: Comment les Etats Unis observent-ils les pays du Maghreb ?
WQ : Globalement, le gouvernement américain est satisfait de ses relations avec les pays du Maghreb. Avec le Maroc, les relations son bonnes. Les récents développements en Tunisie ont été accueillis avec beaucoup d’enthousiasme. L’Algérie est toujours une sorte d’énigme, elle semble avoir un énorme potentiel inaccompli, mais, les relations entre Etats américain et algérien sont bonnes.
MCM : Examinons, par exemple, le poids de la croissance démographique dans les pays du Maghreb. S’agit-il d’un handicap ou d’un atout ?
WQ : Un handicap, étant donné le niveau élevé de chômage et l’exode migratoire.
MCM : Finalement, ces pays du Maghrebpris séparément ou ensemble- disposent-ils de ressources naturelles suffisantes pour sortir du sous-développement ?
WQ : Assurément.
MCM : La précarité sociale sévit, de manière plus ou moins marquée, dans chacun des pays du Maghreb. C’est un obstacle infranchissable pour sortir du sous-développement ?
WQ : Si vous accédez à vos droits politiques, vous pouvez régler vos problèmes sociaux.
MCM : Quel est le terreau dont se nourrit, dans les sociétés maghrébines, l’extrémisme politique, tous les extrémismes pas seulement l’extrémisme radical islamiste ?
WQ : La trop grande concentration du pouvoir chez un nombre réduit de personnes avec une corruption ,excessivement, répandue.
MCM : C’est dans la mauvaise gouvernance publique qu’il faut rechercher, par conséquent, les causes de cet état des lieux des plus dégradés ?
WQ : Certainement.
MCM : Vous êtes connu, tout particulièrement, pour vos travaux sur les élites maghrébines. Alors qu’un profond mouvement de transformation des systèmes politiques maghrébins se profile, que diriez-vous de la pertinence du rôle de ces élites aujourd’hui ?
WQ : C’est l’heure du changement, comme nous pouvons le voir en ce moment en Tunisie.
MCM : Ce renouvellement des élites, vous l’envisagez par rapport à l’âge, à la qualification intellectuelle ou à l’efficacité politique ?
WQ : Les trois facteurs, en même temps réunis, ce serait parfait.
MCM : Les processus en cours dans le monde arabe ont mis en relief le rôle déterminant joué par la jeunesse non embrigadée dans les partis classiques, non encadrés par les leaders politiques traditionnels, c’est un enseignement important à méditer?
WQ : La génération «Faceook» a montré une remarquable habilité à pouvoir se mobiliser et à faire descendre les gens dans la rue ; mais pour devenir une réelle force sur le long terme, cette génération doit affronter le défi qui consiste à organiser des partis politiques avec des programmes cohérents. Sinon le régime déchu réussira à diviser cette génération et à incorporer certains de ses représentants sinon d’en marginaliser d’autres.
MCM: Les moyens d’action politique ont changé eux aussi. Le recours aux réseaux sociaux (face book, twitter…), par rapport aux sociétés arabes, c’est, désormais, un fait de civilisation indiscutable, un mode de vie incontournable ou cela aura été un simple effet de mode ?
WQ : Ce qui a clairement changé dans les moyens d’action, c’est la possibilité qui s’offre aux peuples des différentes parties du monde arabe -et au-delà- de suivre, en direct, les événements extérieurs à leur propre pays. Ils sont, forcément, inspirés par ces événements. Quand la situation en Tunisie à explosé, un ami algérien qui était a Dubaï m’a envoyé ce message on ne peut plus symbolique : «aujourd’hui nous sommes tous tunisiens». Il convient de relever qu’«Al Jazeera», sur ce plan, a le même mérite que facebook.



La démocratie, une panacée ?


MCM : Au plan théorique, sous quel angle pourrait-on, envisager la problématique de la démocratisation du Maghreb ?
WQ : Ce n’est pas une panacée mais une garantie contre les régimes autoritaristes comme ceux de Ben Ali et d’El-Kadhafi.
MCM : Attardons-nous sur le lien éventuel entre démocratie et développement économique. Amartya Sen, le prix Nobel d’économie indien, avait estimé, s’appuyant, en particulier, sur le cas de l’Inde, que le système démocratique favorisait le développement économique. Ce lien de causalité vous parait évident ?
WQ : Pas nécessairement. Mais cela à d’autre vertes, et, comme le démontre la Turquie aujourd’hui, les deux peuvent très bien aller ensemble.
MCM : Comme en témoignent, les discours respectifs des Présidents Bush et Obama, la doctrine diplomatique des Etats-Unis stipule, explicitement, que la démocratie constitue le meilleur rempart contre la violence. Ce principe vous semble vérifié ?
WQ : Sur le long terme, oui ce principe est fondé. Mais le processus de démocratisation prend du temps et peut produire un certain niveau de tension sociale. Mais une fois établi, le système démocratique est, relativement, paisible.
MCM : Les contraintes liées au comportement des forces armées et à celui du mouvement islamiste sont évoquées, dans certaines analyses, comme un obstacle potentiel à un éventuel processus de démocratisation. Commençons par le mouvement islamiste, c’est un simple épouvantail brandi par les pouvoirs publics ou une menace sérieuse pour le processus démocratique ?
WQ : Cela dépend beaucoup de la nature du mouvement Islamiste. Ali Belhadj, le leader du FIS, ne croyait pas en la démocratie .Le problème résidait là. Par contre, l’AKP en Turquie a foi en la démocratie et permet de vérifier, que les deux, parti islamiste et démocratie, peuvent coexister.
MCM : Dans le même esprit, quid du statut et du rôle de l’institution militaire ? La propension des militaires à vouloir s’ingérer dans la vie politique vous parait une donnée persistante ou une réalité dépassée?
WQ : Le rôle des militaires peut constituer un grave problème. Habitués à dominer la scène politique en en tirant dividendes économiques, il ne sera pas aisé de les pousser dehors comme nous avons à le voir en Egypte.
MCM: Les Etats Unis seraient intéressées à favoriser un processus politique ou le mouvement islamiste et l’armée, cote à cote, constitueraient le socle d’un processus démocratique pragmatique et assimilable par les sociétés concernées. Une démarche inspirée par le modèle turc. Cela vous parait une approche vérifiée ?
WQ : C’est un modèle possible, pas l’unique modèle. Si les laïcs était mieux encadrés et mieux organisés, ils pourraient jouer un rôle national majeur.



La politique américaine face aux défis de la démocratisation dans les pays du Maghreb :


MCM: L’annonce, en 2003, du projet de démocratisation du monde arabe "Great Middle East Initiative" -étendu, aussitôt, à l’Afrique du Nord- a constitué, de toute évidence, un tournant dans la politique étrangère américaine. Brièvement, quels sont les fondements théoriques et pratiques de cette initiative ?
WQ : Un questionnement sans importance. C’est, pour l’essentiel, un effet de propagande destiné à détourner l’attention de l’impasse arabo-israélienne.
MCM: Le discours du Caire que le Président Obama a prononcé en 2009 semble être, pourtant, une reprise, en plus adapté, du projet républicain (the "Great Middle East Initiative") …
WQ : Le but principal du discours du Caire était de présenter une nouvelle image sur la manière dont les Etats Unis s’engageaient vis-à-vis du monde arabe et musulman, un engagement basé sur «les intérêts communs et le respect mutuel». Un engagement envisagé en termes diplomatiques pas militaires. Le principe est de procurer un support aux reformes, mais sans intervention extérieure directe sur le processus. L’objectif pour le Président Obama consistait à délivrer un message pour signifier une nouvelle attitude après celle connue durant les années Bush. J’étais a Damas quand le Président Obama a prononcé son discours ; j’avais rencontré, alors, un ami syrien et des officiels du Hamas qui m’avaient, tous, affirmé : «ce sont de bons mots mais nous attendrons de voir ce qu’il en adviendra». ils attendent toujours, me semble-t-il…
MCM: Il est remarquable que les Etats Unis, habituellement, vilipendés par l’opinion publique arabe en des moments d’intense émotion comme ceux que vit la région soient ainsi épargnés. C’est le résultat de l’mage personnelle du Président Obama -noir, ayant une ascendance musulmane-ou le résultat d’une adaptation de la politique américaine ?
WQ : Je pense que beaucoup de personnes dans le monde arabe restent frustrés par rapport à la politique américaine en général et par rapport a Obama lui-même. Mais ils ont compris que leur problème principal , aujourd’hui, n’est pas en Amérique mais, plutôt, au niveau de leurs propres dirigeants.
MCM: Quels sont les objectifs cachés, je dis bien cachés, de cette politique volontariste des Etats-Unis ? Par delà la démocratisation, quels objectifs visent-ils en rapport avec leurs intérêts stratégiques ?
WQ : Si les objectifs sont cachés, je n’en sais donc rien. Il peut effectivement y avoir des tensions entre intérêts stratégiques et démocratie, comme au Bahreïn et en Arabie Saoudite. Mais, ailleurs, en Tunisie, et en Egypte, c’est au vrai sens que la démocratie apportera aux deux peuples des améliorations-substantielles.
MCM : Les Etats-Unis disposeraient d’un modèle théorique qu’ils appliqueraient, chaque fois que de besoin, pour faire déloger les dictateurs. Un modèle déjà expérimenté avec succès en Serbie, en Géorgie et en Ukraine et qui reposerait sur un bréviaire, le livre détonnant de Gene Sharpe, "From dictatorship to democracy". Quel crédit accorder à cette version des faits?
WQ : C’est, vraiment, sans importance.
MCM: Vous voulez dire que c’est la volonté des peuples qui façonne l’histoire nationale, pas les interférences étrangères ?
WQ : Les deux, influence étrangère et volonté populaire, sont importants. Mais je suis frappé par la propensions des régimes impopulaires, comme ceux de Moubarak, de Ben Ali et d’El Kadhafi à blâmer les interventions étrangères dans les troubles intervenus, alors que le vrai problème c’est qu’ils ont perdu le soutien de leurs peuples.
MCM: Quels rapports entretiennent avec les instances officielles américaines, la constellation d’organisations non gouvernementales qui évoluent dans le sillage de ce projet de démocratisation de l’univers du monde ? C’est, comme il est souvent affirmé, le bras armé de la diplomatie américaine ?
WQ : un rôle infime.
MCM: Rappelez- vous, cependant, que c’est en s’inspirant de ce modèle de «Révolution pacifique» et en s’appuyant sur la constellation d’ONG évoluant autour de la problématique de la démocratie, que les Etats Unis ont joué un rôle essentiel dans la destitution du dictateur serbe Milosevic. L’opinion publique arabe n’en croira pas un mot si vous voulez affirmer que les Etats Unis suivent en spectateurs les processus politiques en cours au Maghreb…
WQ : Je ne dis pas qu’il n’y a aucun intérêt pour les Etats Unis par rapport aux processus qui se déroulent, mais je ne pense pas que les Etats Unis soient en train de jouer un rôle majeur. En Egypte, l’implication a été plus significative particulièrement avec les militaires Egyptiens sur lesquels les Américains disposaient, dans une certaine mesure, d’une influence directe.
MCM: Quels enseignements tirer des récents processus démocratiques de Tunisie et d’Egypte. Faut-il s’attendre, pour tout le monde arabe, à un rapide «effet domino» ?
WQ : Une question bien trop vaste pour qu’il y soit répondu brièvement. J’espère que la Lybie suivra, et il pourrait y avoir des pressions pour des reformes ailleurs. Le message délivré par les précédents tunisien et égyptien c’est que les peuples en ont marre de la mauvaise gouvernance !
MCM : La situation en Libye semble, néanmoins, évoluer, différemment, des scénarios tunisien et égyptien. Cela tient plus aux particularités de la société libyenne ou à la nature du régime libyen que personnalise Mouammar El Kadhafi ?
WQ : Société différente, leader différent et rentes pétrolières…
MCM: Avec ce souffle démocratique puissant qui, l’un après l’autre, fait tomber les dictateurs arabes, quelle sera, demain, la physionomie géopolitique de cette région du monde ? Quelles incidences sur la paix et la sécurité dans le monde ?
WQ : Question trop large, qui fait appel à trop de spéculation. Il n’en reste pas moins, tout compte fait, que la région du Maghreb et le monde gagneront à l’enracinement de la démocratie au Moyen Orient.
MCM: Les changements substantiels qui affectent les régimes du monde arabe ne vont-ils pas contraindre Israël à revoir sa doctrine de sécurité pour s'adapter à ce nouveau contexte qui peut autant faciliter que compromettre la paix ?
WQ : Face aux changements spectaculaires qui se se déroulent autour d’Israël, les leaders de ce pays semblent paralysés. Cela pourra changer avec le temps, mais les divisions internes au sein de la classe politique israélienne, la faiblesse du «camp pour la paix» dans ce pays et la faiblesse de Netanyahu dans son leadership ne semblent pas indiquer qu’il existe, pour le moment, plus de chance pour l’émergence d’une «nouvelle pensée» en Israël.
MCM: Dans ce sillage, faut-il partager l'avis selon lequel les processus politiques en cours dans le monde arabe ont, d'ores et déjà, disqualifié autant l'islamisme radical que le nationalisme émotionnel ,deux principales causes d'inquiétude pour Israël ?
WQ : Je pense qu’il est trop tôt pour tirer des conclusions. Une Egypte plus démocratique sera moins encline à coopérer avec Israël réprimant les Palestiniens. Une Egypte ou les frères musulmans gagneraient plus de voix soutiendra, probablement, plus Hamas. Israël a des raisons pour s’inquiéter même si elle reste, militairement, plus forte par rapport à n’importe quelle combinaison de forces, alentour. Peut être que le bon sens prévaudra et Israël réalisera que le moment est venu pour faire une offre généreuse à la fois pour la Syrie et pour les Palestiniens. Mais j’en doute.



A propos du cas particulier de l’Algérie :


MCM : Dans le cas particulier de l’Algérie, voilà un pays, dirions-nous, qui dispose de richesses naturelles exceptionnelles et d’un potentiel humain de qualité, même d’un positionnement géographique des plus favorables. Comment expliquer que le pays ne décolle pas?
WQ : Mauvaise gouvernance, corruption, système d’éducation médiocre.
MCM : Vous ne trouvez pas que c’est là un jugement sévère, presque sans appel…
WQ : Non, toutes ces choses peuvent changer. Pour faire avancer les choses, l’Algérie dispose des ressources matérielles nécessaires et du capital humain indispensable. Mais il y a, tellement, eu de gaspillage. Un ami égyptien ayant une grande expérience de l’Algérie m’a affirmé, tout récemment : «il faut vraiment travailler dur pour gâcher les choses dans un pays comme l’Algérie qui a tellement de potentiel !» il y a quelque vérité dans cette observation de bon sens.
MCM : Par rapport aux intérêts stratégiques des Etats-Unis, quelle importance peut revêtir l’avenir de l’Algérie ?
WQ : Un pays important, mais pas parmi les plus importants qui restent, pour les Etat Unis, l’Egypte, Israël, l’Arabie Saoudite, la Turquie et l’Iran…
MCM : L’opinion publique en Algérie n’est pas loin de considérer que les Etats Unis pour des considérations d’intérêt stratégique se montrent plutôt complaisants avec les autorités du pays. Assurément, le ton, au moins, est moins sévère que celui utilisé avec Les anciens Présidents Ben Ali et Moubarak. Comment comprendre cette inflexion -qui peut être, en effet, purement tactique- dans la démarche des Etats Unis?
WQ : Vous avez raison d’affirmer que les Etats Unis n’ont pas autant mis l’accent sur les manquements des leaders algériens par rapport à leurs mises en garde dans les de Ben Ali et de Moubarak. Je pense qu’il existe plusieurs raisons à cela. Premièrement, le peuple algérien n’a pas encore manifesté son mécontentement de manière claire ; deuxièmement, il existe des soupapes de sécurité en Algérie – telle la presse qui favorisent l’expression du mécontentement, à l’opposé, par exemple, de la Tunisie sous Ben Ali ; troisièmement, le président Bouteflika garde un certain crédit pour avoir clos le «chapitre noir» des années 90. Enfin, derrière le président en Algérie il existe «le pouvoir», il n’est pas aisé de concentrer les tirs sur une seule personne comme en Egypte, en Tunisie ou en Libye.
MCM: L’Algérie, d’importance secondaire, n’a pas vocation, donc, à être un «Etat-pivot» dans la stratégie américaine ?
WQ : Par le passé, ayant eu à écrire un article sur l’Algérie «Etatpivot » d’un point de vue américain, j’avais conclu que l’Algérie n’était pas comparable aux autres pays classés dans la liste des «Etats pivots» comme l’Inde, le Pakistan, le Brésil, l’Egypte, la Turquie et l’Iran. Bien évidement l’Algérie est un pays important, mais les Etats Unis ne le traitent pas comme un allié. A quand remonte la dernière visite du président Bouteflika à Washington DC ? Au début des années Bush si j’ai bonne mémoire. J’imagine aisément le président Obama visiter le Maroc et la Tunisie avant qu’il ne s’arrête en l’Algérie. J’aurais aimé que les deux nations américaine et algérienne soient plus proches, mais elles ne le sont pas.
MCM : Par rapport à trois questions essentielles, le règlement du conflit du Sahara Occidental, la normalisation des rapports avec Israël et la définition d’un statut juridique des hydrocarbures, avantageux pour les compagnies pétrolières américaines, la démarche de l’Algérie, sous la présidence de M. Abdelaziz Bouteflika, a-t-elle été favorable aux intérêts américains?
WQ : La meilleure chose qu'il ait faite c’est bien d’avoir clos l’ère de la violence interne.
MCM: Vous pensez, vraiment, que le spectre de la violence est dépassé en Algérie ?
WQ : Je suis sur que les gens sont toujours inquiets du retour éventuel de la violence politique. La situation actuelle semble nettement meilleure par rapport à celle qui prévalait au milieu des années 90.Lorsque je visitais, en ce temps, l’Algérie j’étais accompagné de gardes armés. Lors de ma dernière visite qui remonte à 2007, j’avais senti que j’étais dans un pays quasiment normal. Quel progrès…
MCM : La gestion algérienne du phénomène islamiste, précisément, vous parait avoir été une expérience probante ?
WQ : Les circonstances en Algérie sont très particulières, il n’est pas certain que ce soit un cas d’école. Rétrospectivement, la décennie des années 90 semble constituer une énorme tragédie avec une perte incommensurable de vies humaines et de ressources.
MCM: Et que diriez vous du rôle joué par l’institution militaire depuis la révolte populaire du 5 octobre 1988?
WQ : L’institution militaire a joui de trop de pouvoir pendant trop longtemps…
MCM: L’Algérie souffre d’un manque chronique, le vide politique illustré par l’absence d’élite politique efficiente. La responsabilité en revient aux obstructions posées par un régime on ne peut plus autoritariste ou à la démission des acteurs politiques et sociaux eux-mêmes ?
WQ : C’est le régime avec les dividendes qu’il collecte de la rente pétrolière qui est devenu le problème.
MCM : Au regard de l’état des lieux en Algérie, sous-développement structurel mais réserves financières imposantes, vous diriez que l’Algérie, dans le contexte arabe actuel, est à l’abri d’un «effet domino» ? Vous pensez qu’il pourrait se vérifier une exception algérienne ?
WQ : Je ne suis pas si sure qu’il y ait une exception algérienne. Cela dépendra énormément de la manière dont se déroulera la succession du Président Bouteflika. Selon qu’elle sera, strictement, contrôlée par les militaires, selon qu’elle s’accompagne de divisions ou selon qu’elle donne lieu à une compétition sincère. Autrement, toutes les frustrations qui existaient en Tunisie et en Egypte sont présentes en Algérie.
MCM : A court et moyen terme, quel serait votre pronostic sur l’évolution de la situation en Algérie ?
WQ : Un changement lent concernant pour le futur immédiat, mais la possibilité d’un changement plus rapide pour la période post-Bouteflika. Il y a un facteur favorisant pour un changement générationnel dans le leadership algérien au sein duquel l’âge moyen des dirigeants est très avancé, majoritairement autour de 70 ans. Donc le pouvoir pourra passer, éventuellement, à une nouvelle génération de dirigeants qu’il faut espérer seront plus éclairées que leurs prédécesseurs.
MCM : Merci beaucoup Professeur d’avoir consacré à l’opinion publique de mon pays de votre temps précieux…
WQ : Je vous en prie. Transmettez, je vous prie, tous mes meilleurs sentiments à vos lecteurs, les sentiments d’un ami de longue date de l’Algérie.

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